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... Lénouche ...
24 octobre 2007

Jeux de silences.

camus

En fait, je le savais déjà.

On n'en avait jamais vraiment parlé. Ou plutôt, on évitait tout simplement d'aborder le sujet. Même si des fois, il tombait, quand même. Mais pourtant, j'ai compris que je le savais depuis des mois. Parce qu'elle cachait un manque, peut-être. Ou parce qu'elle avait cette manière de l'esquisser qui ne peut s'expliquer que par la douleur, ou par la crainte. Ou par la gêne de voir de la pitié dans le regard de l'autre, ou un malaise.
Parce que, surtout, quand elle en parlait, c'était sans haine. Sans reproches. Avec cette pudeur, cette distance mais paradoxalement cette implication qui ne peut s'expliquer que comme ça.
Parce que quand elle en parlait, c'était avec le regard qui fuyait. Alors oui, je savais que j'avais compris. Ou j'avais compris que je savais.

On a déménagé des meubles, on a cassé un verre. On en a sué -et chié, aussi-, mais il fallait tout changer. Et puis on est tombées, alors on a mangé. Et parlé, longtemps. Toute la nuit, ou presque. En buvant du thé et en fumant des cigarettes. Quelques joints, aussi, c'est vrai. Pas pour se défoncer. Mais parce que ça collait avec l'ambiance et les chats qui renversaient les lampes en se battant. Non, on n'était pas défoncées. Un peu tristes, juste. Alors on a juste essayé de refaire le monde.

Quand je lui ai demandé "elle est morte?", ce n'était pas pour entendre la réponse. C'était juste pour lui dire que je savais, depuis longtemps. Parce qu'elle en parlait avec cette façon de parler, avec cette pudeur et cette passion si contradictoire qui ne peut s'appliquer qu'à une personne morte.
Quand elle m'a dit "je ne sais plus si c'était juste avant ou juste après mes seize ans", j'ai eu envie de relire Camus. J'ai pris les premières pages en rentrant chez moi.

"Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : "Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués." Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier." .

J'ai réalisé à ce moment là que je venais de comprendre toute la philosophie de l'Etranger. Tout ce qui m'avait échappé, avant. Tout ce qui m'avait échappé, aussi, dans ma vie. Que cela ne voulait rien dire, juste. Mais ce n'est pas pour ça que j'ai pleuré.
J'ai dû prendre une douche. Et avoir envie de vomir. Et puis j'ai pleuré, parce que j'avais mal. Mais sans savoir pourquoi, exactement. Sans savoir si c'était hier ou aujourd'hui. Sans savoir si c'était pour moi ou pour elle. Parce que je savais, depuis longtemps. J'avais deviné, déjà. Mais j'ai pleuré à cause du regard, je crois. Ou à cause de sa façon d'en parler. Je ne suis pas sûre.

On n'en avait jamais parlé non plus. Ni vraiment abordé le sujet. Mais quant à son tour elle m'a posé la question, j'ai su que ce n'était pas non plus pour entendre ma réponse. Et que c'était juste pour me dire qu'elle avait compris depuis longtemps.
Peut-être parce que quand le sujet approchait, j'avais cette esquive du regard. Peut-être aussi parce qu'il y a cette gêne dans ma bouche de voir de la pitié chez les autres, peut-être aussi à cause d'une pudeur qui implique trop de douleur pour que ce soit juste un sujet comme ça, qui touche de loin.

Peut-être que tout simplement, on a réalisé hier soir qu'on avait porté un regard particulier sur l'actualité, il y a dix ans. Peut-être qu'on avait trop suivi les épisodes de la guerre en Yougoslavie, au Rwanda et au Kosovo. De cette façon qu'on suit, quand on veut esquiver sa propre actualité.

Je crois que j'aimerais bien que le téléphone réponde, demain. 

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Commentaires
E
oui, quand on supporte "l'absence" ou le "manque", on a tendance à les reconnaitre dans l'autre à travers ces mots ou attitudes. N'hésites pas à m'appeler soeurette si le téléphone ne répond pas...soignes toi bien aussi...gros bibis. Ta soeurette.
... Lénouche ...
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