la roulette russe
Il y a des choses qu'on ne dit pas. Pas parce qu'on ne veut pas. Parce qu'on ne le doit pas. Il ne faut pas. Ce n'est pas "la norme".
Si on veut mourir , on peut crever, mais ne pas prévenir avant.
Ce soir, j'ai voulu pleurer. Rien n'est sorti.
J'ai pris un bain, j'étais gelée dans l'eau brûlante, comme paralysée physiquement. En boule, j'avais froid. Ne plus oser bouger, et puis se plonger dans l'eau d'un seul coup. Et rester sous l'eau. Jusqu'à ressortir la tête en suffoquant.
L'eau remplace les larmes qui ne coulent pas.
Je repense à la vie. A ma vie. Au trucs chouettes, qui sont assombris par les moins chouettes. Je revis la douleur, en boule par terre. Parce que je la ressens encore. Et que j'en crève.
Parce que je m'acharne jusqu'à l'épuisement et que tout est toujours pareil.
J'ai mal. Ca non plus on ne doit pas le dire. Alors on le cache. Putain, putain de lame. Putain de bras. J'ai lavé la baignoire, pas les blessures. Les blessures, je m'en fous.
Putain de famille. Je ne voulais pas naître, je ne voulais pas vivre ça.
A neuf ans, j'ai compris le principe de la roulette russe. J'avais un flingue pointé sur la tempe, et les mots qui résonnaient. "Je tire, s'il y a une balle tu meurs, sinon tu e récompenses de t'avoir laissée en vie". Alors je pensais pourvu qu'il y ait une balle.
Mais ce putain de flingue tirait toujours dans le vide, il n'étais jamais chargé, JAMAIS. Et moi j'attendais que la balle parte et me tue. J'attendais de ne plus rien sentir, de ne plus avoir mal. J'attendais que CA s'arrête. Mais ça ne s'arrêtait jamais.
Ca marchait bien la roulette russe. Je crevais de trouille à l'idée que la balle parte. J'avais encore plus peur qu'elle ne parte pas. J'étais liquéfiée par la peur, tirée jusqu'à la limite extrême juste avant celle qui 'aurait tuée.
Tire, mais tire. Pars maudite balle. Je fermais les yeux à me faire mal aux paupières, je pensais à nono, mon ours en peluche. Et j'entendais le clic, et j'étais toujours en vie. Et je me disais merde. Et je récompensais sa pitié et son indulgence.
Les blessures au niveau des parties génitales. Au début, ça allait. La cire chaude, c'était encore supportable. Et puis il y a eu l'insoutenable qui marque à vie, à tous les sens du terme. Les brûlures, les vraies. Celle qui empêchent de se tenir debout, assise ou couchée. Celles qui font mal pendant des jours et que personne ne voit.
Il y a eu les mutilations. L'indescriptible. L'insupportable. Se mordre la langue au sang pour ne pas crier, ne pas pleurer. Et rester paralysée de douleur, de souffrance. Et supporter le viol "après". Et ça, c'était rien par rapport à l'"avant.
Oui, le viol devenait le moins pire. Et j'attendais la balle qui me tuerait. Et je rêvais de sauter par la fenêtre, et je tournais sur moi-même jusqu'à m'effondrer par terre ivre de douleur et de détresse.
La vie, c'est resté la roulette russe. Une chance sur six, on tourne le barillet. Si on a de la chance, on a juste eu peur. Sinon, on se prend un coup et on tombe.
J'ai plus une tune, et je ne peux pas en demander. Et je n'en demanderai pas. Je ferai sans, jusqu'à... Jusqu'à quand?
Envie de vomir. De dégueuler la haine et la souffrance, de dégueuler le désespoir et les appels au secours avant qu'ils ne me fassent imploser. Envie de gueuler J'AI MAL. J'EN CREVE.
Ivre d'une ivresse qui abat.
Injustice. Envie de gueuler injuste. Mais on ne peut pas faire contre.
Taper dans l'oreiller. Frapper partout, tout casser, soi-même aussi. Plus rien à foutre.
Voilà, la roulette russe. Ca passe, ou ça casse.