quand on ne trouve pas les mots
Parce que certains ont les mots qu'il faut
Un jour j'ai cru te perdre
Toute une nuit j'ai cru tant son front était blême
Tant le linge semblait son visage et ses bras
Toute une nuit j'ai cru que je mourrais moi même
Et que j'étais sa main qui remontait le drap
Celui qui n'a jamais ainsi senti s'éteindre ceux qu'il aime
Peut-il comprendre ce que c'est
Et le gémissement qui ne cessait de plaindre
Comme un souffle d'hiver à travers moi passait
Toute une nuit j'ai cru que mon âme était morte
Toute une longue nuit immobile et glacée
Quelque chose dans moi grinçait comme une porte
Quelque chose dans moi comme un oiseau blessé
Toute une nuit sans fin sur ma chaise immobile
J'écoutais l'ombre et le silence grandissant
Un pas claquait parfois le pavé de la ville
Puis rien qu'à mon oreille une artère et le sang
Il a passé sur moi des heures et des heures
Je ne remuais plus tant j'avais peur de toi
Je me disais je meurs c'est moi c'est moi qui meurt
Tout à coup les pigeons ont chanté sous le toit.
Aragon, Le Roman inachevé.